Depuis le 2 février, la communauté universitaire est en ébullition : enseignants-chercheurs, personnels et étudiants sont en grève illimitée, au sein d’un mouvement qui a réuni les facultés, les IUT (Institut Universitaire de Technologie) et les IEP (Institut d’Études Politiques). Un mouvement d’une étonnante vigueur et d’une rare longueur, qui a permis d’élaborer de nouvelles méthodes de lutte (ronde infinie des obstinés, manifestations illimitées…) et de réfléchir et rêver à l’université de demain (cours alternatifs et participatifs, marathon des savoirs, journées du patrimoine intellectuel…).
En cette période d’examens, c’est tout le fonctionnement universitaire qui est troublé, et l’heure est au bilan et aux perspectives.
Ce sont deux visions de l’université et de la recherche qui s’affrontent. La loi Liberté et Responsabilité des Universités (LRU), dont l’abrogation a été l’objet d’une mobilisation sans résultat l’année passée, est encore au cœur des revendications.
Cette réforme, qui s’inscrit dans une dynamique européenne d’autonomie des universités (procédé de Bologne, stratégie de Lisbonne et objectifs OCDE(1)), augmente le pouvoir du président d’université et tend à diversifier les financements en faisant appel notamment aux mécènes et aux capitaux privés. Il s’agit d’améliorer les débouchés professionnels en créant des liens avec les entreprises et en intégrant des personnalités extérieures aux conseils d’administrations. Elle s’assortit du « plan Campus », plan de financement par l’État de 10 universités dites « d’excellence ». Aux autres universités de trouver leurs financements auprès des entreprises ou par l’augmentation des frais d’inscription et la banalisation du crédit étudiant.
Cela représente, pour la communauté universitaire, une soumission de l’université à la logique d’entreprise et de résultat. Le risque de cette mise en concurrence est, pour la majorité des universités, de voir les filières « improductives » disparaître (quelle entreprise financera la filière philosophie, ou encore les lettres ?), ou se professionnaliser significativement. (À titre d’exemple, l’ouverture d’une licence Michelin.)
Que dire de la qualité de diplômes si spécialisés ?
Qu’en est-il de la richesse intellectuelle des universités, et de l’accès de tous à la connaissance ? La question fondamentale est celle de la fonction des études supérieures : formation à un métier simplement, ou formation de la culture et de l’esprit critique du jeune citoyen ? Formation d’une élite aisée ou démocratisation du savoir ?
Le deuxième cheval de bataille de cette mobilisation est la modification du statut des enseignants-chercheurs qui, jusqu’à présent, répartissent leur temps entre travaux de recherche et d’enseignement, de façon égale. Le décret, présenté par Nicolas Sarkozy comme essentiel à l’efficacité de la recherche française, dont les publications et les débouchés en entreprise sont« médiocres »(2) permet de moduler les horaires d’enseignement et de recherche en fonction des publications. Le « bon chercheur », celui qui publie le plus, accordera des heures supplémentaires à ses recherches, abandonnant l’enseignement. À l’inverse, qui publie moins verra augmenter son temps d’enseignement, et n’aura plus le temps de se consacrer à la recherche. Ce décret est critiquable en ce qu’il sépare recherche et enseignement, dont l’interaction est bénéfique, et caractéristique de l’université actuelle : la connaissance est toujours mouvante, en devenir et l’enseignant en quête de savoirs. De plus, il s’agit d’une subordination de la recherche aux besoins et critères fixés par le Conseil d’administration et le CNU (Conseil National des Universités). En s’adaptant aux besoins des entreprises et en substituant à l’évaluation qualitative une évaluation quantitative, c’est l’essence même de la recherche universitaire qui est remise en question : la recherche de savoirs peut-elle coexister avec la recherche de résultats chiffrés et utiles à l’entreprise ?(3)
Le dernier projet combattu est celui de la mastérisation, terme barbare signifiant le remplacement des IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) par deux années de master professionnel au sein d’une faculté, sur le principe de l’harmonisation européenne (système Licence/Master/ Doctorat). La communauté universitaire s’oppose à la suppression de l’année en alternance à l’IUFM, année de stage financée qui est une grande richesse pédagogique, une transition entre études et enseignement, mais aussi un apport financier non négligeable pour des étudiants toujours plus précaires. Enfin se pose le problème des étudiants obtenant leur deuxième année de master mais échouant au concours : ils seront nombreux à devenir vacataires, et la banalisation de ce statut précaire peut être considérée comme une remise en cause du statut de fonctionnaire : Ces réformes n’avancent-elles pas vers une disparition du concours, dans le cadre d’une privatisation de l’éducation déjà amorcée ? Étant donné l’absence de réelles négociations, de modifications significatives et de réponses cohérentes, le mouvement perdure et les examens s’en trouvent perturbés. Enseignants et étudiants ont cependant repris les cours afin de valider le semestre en fonction de critères valables, la faculté ne dispensant pas de diplômes insignifiants. Mais l’échéance des examens ne fait pas la fin du mouvement, c’est une résistance qui s’instaure sur le long terme, et la mobilisation reprendra à la rentrée, selon des modalités plus ou moins aménagées.
Il s’agit donc d’une lutte contre des réformes, mais aussi, bien au delà, pour une université de tous les savoirs, gratuite, laïque, ouverte à tous, pour une liberté de la recherche et une logique de qualité.
À chacun, en cette période d’ébullition, de prendre part à ce débat de société qui doit s’élargir et de rêver et porter son projet d’université et de société.
(1) Objectifs OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) 2009 pour la France : www.oecd.org/dataoecd/4/2/42263534.pdf (2) Discours de Nicolas Sarkozy sur l’enseignement supérieur et commentaires disponibles sur : www.sauvonsluniversite.com (3) Plus de renseignements sur les lois concernant recherche, démantèlement du CNRS, contrat doctoral sur : www.sauvonslarecherche.fr